Trois réveils by Catherine Perrin

Trois réveils by Catherine Perrin

Auteur:Catherine Perrin [Perrin, Catherine]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions XYZ
Publié: 2020-02-04T18:39:04+00:00


Antoine arrête au dépanneur avant de descendre dans le métro. Huit heures dix. Lui faut un café, n’a pas eu le temps de s’en faire. La machine rutilante de Réjean expulse un filet brun translucide qui rendra l’heure de travail supportable.

Il a mal dormi, aurait pu sauter une séance de métro, mais il a, comme rarement, le besoin de sentir que la vie continue.

La résignation de son père lui a semblé acceptable sur le coup, mais il a peur de manquer de temps. Le fils s’en veut d’avoir gaspillé plusieurs années en brûlant le père par son instabilité dangereuse. Se demande s’il sentira le besoin de s’en excuser, si son père voudra à son tour s’ouvrir. Dans la nuit, les grands scénarios d’échanges déchirants se sont bousculés.

Levé à l’heure, Antoine a trop traîné devant le garde-robe. Le matin précédent, l’angle du soleil sur le miroir de sa chambre avait rebondi sur un t-shirt vert bouteille qui avait rapidement trouvé des alliés : un jeans gris, la veste noire, les bottines. En deux minutes tout était enfilé. Une journée facile semblait s’annoncer, avec le plaisir anticipé de voir Sarah et son père.

Ce matin, la même armoire est restée muette. Un écho désolé à son désarroi. Il a fini par remettre les mêmes vêtements, comme s’il pouvait rejouer le temps, effacer la mauvaise nouvelle.

Trois personnes font déjà la file au dépanneur.

À la caisse, Réjean a son air habituel. D’une patience infinie avec chacun, mais conservant une distance semi-tragique dans le regard. Souvent, Antoine le croise sur Sainte-Catherine, sorti griller une cigarette devant son commerce. Il a le même air. La clientèle est difficile, il se la prend dans la gueule mais reste debout et silencieux. Réjean ne tente pas de jouer au travailleur social pour se donner bonne conscience. Il vend de la loto, des cigarettes, de la bière, du Pepsi et quelques conserves, plus cher qu’à l’épicerie. Avec patience, c’est tout.

Ce n’est pas lui, ni Antoine, qui arrêtera le commerce de la mort enroulée à petites doses. Ce matin-là, une femme du quartier, toujours trop emmitouflée, demande ses cigarettes. Montre la marque, demande un paquet de vingt. Réjean répond qu’elles viennent en paquet de vingt-cinq. Sinon, en vingt, ce sont les menthols. La femme insiste, veut un paquet de vingt.

Elle fumera des menthols. Peut-être que c’est toujours ce qu’elle fume, mais c’est surtout le nombre qui compte.

Tellement trop habillée pour la saison. Il y a des boutons attachés partout : en plus du manteau bien fermé, col, martingale, bonnet, tout est retenu par d’autres boutons, comme si c’était le seul moyen de contenir ses idées.

Elle sort un paquet de cartes liées par un élastique.

Presque cinquante-deux, se dit Antoine. Presque assez pour une patience, mais elles sont en plastique. Il y a sans doute là des générations de cartes périmées, les siennes et d’autres trouvées. Elle interroge la pile, les doigts gourds. Antoine repère la bonne : il a quelquefois aperçu la dame à la porte d’une banque, tout près. D’un mouvement des sourcils, il l’indique à Réjean, qui la pointe à son tour à la dame.



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